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L'Eglise
2 février : Présentation du Seigneur au Temple et Journée de la vie consacrée
2 février : Présentation du Seigneur au Temple et Journée de la vie consacrée
© ND de la Bidassoa

| LAVIGNE 1540 mots

2 février : Présentation du Seigneur au Temple et Journée de la vie consacrée

     Suis-je fait pour la vie religieuse ?​

Comment savoir si l'on est fait pour la vie religieuse  ? Réponse de la religieuse dominicaine Anne Lécu.

 

Sophie de Villeneuve : Comment être sûr que l'on a reçu un appel, que l'on a bien la vocation ?  Comment décide-t-on d'entrer dans la vie religieuse ?

 

Anne Lécu : Comment savoir si l'on est fait pour la vie religieuse ? J'ai envie de répondre qu'il n'y a qu'à essayer !  On  ne peut pas le savoir tant qu'on ne l'a pas essayé. Les différentes étapes de formation de la vie religieuses sont faites pour cela. Il y a de nombreuses formes de vie religieuse, et c'est difficile de s'y retrouver quand on en est un peu éloigné, mais qu'on ressent malgré tout un appel. Ressentir un appel, c'est avoir envie de suivre le Christ de manière assez entière, c'est-à-dire d'y sacrifier un certain nombre de choses dans son existence.

La première chose à faire, c'est de se mettre d'accord sur les mots. J'ai reçu il y a quelque temps une jeune femme qui pensait à la vie religieuse, mais en l'écoutant je me suis rendu compte qu'en disant "vie religieuse", elle voulait dire "vie chrétienne". Donc il faut être clair : la vie religieuse consiste à entrer dans un institut religieux, à vivre en communauté, à rester célibataire et à partager les biens.

Et à obéir aussi ?

A. L. : Non, les deux points fondamentaux dans la vie religieuse sont le partage des biens et le célibat. Ce sont les points communs à toutes les formes de vie religieuse depuis ses origines. Après quoi sont apparus, assez tardivement, les vœux d'obéissance, de  pauvreté, de chasteté. Le vœu d'obéissance peut résumer les trois, il est le plus important. Chez les dominicains, on ne fait qu'un vœu d'obéissance, qui inclut les deux autres. Laissons la question des vœux, l'idée primordiale, c'est de rester célibataire et de partager ses biens avec d'autres. Cela peut se faire de multiples façons : dans un monastère dans lequel on travaille et dont on ne sort pas, comme les bénédictins, les cisterciens ou les carmélites. On peut le faire dans la vie apostolique : on vit ensemble mais on travaille à l'extérieur, et la vie religieuse consiste là à articuler le dedans et le dehors. Et puis il y a tout le reste : la prière, le partage des biens, l'obéissance des uns aux autres dans la vie commune… Tout cela, il faut l'essayer.

Pour cela, il faut y réfléchir, sans se voiler la face. Il y a beaucoup d'instituts aujourd'hui dans lesquels il est déraisonnable d'entrer quand on a 20 ans. Un monastère par exemple dont les sœurs ont toutes plus de 70 ans. Je pense qu'il faut se faire aider, et dans chaque diocèse il existe un groupe d'aide de "soutien à la pastorale vocationnelle" qui aide à discerner les vocations à la vie religieuse, presbytérale, mais aussi au mariage ou au diaconat. On peut aller discuter avec ces gens qui ont l'habitude d'entendre les questions que l'on se pose quand on se sent appelé, et qui peuvent aider à cheminer avec ces questions. Et puis il important de rencontrer d'autres jeunes qui se posent les mêmes questions, car on se sent parfois très seul sur ce chemin-là dans notre société.

Une fois ce temps de discernement effectué, il faut se demander vers quelle forme de vie religieuse on veut aller, et c'est par des rencontres que la décision se fait. La bonne question est : à quel endroit est-ce que je me sens chez moi ?  Il faut aller là où notre cœur nous mène.

Il faut donc visiter plusieurs endroits ?

A. L. : Certains entrent dans la vie religieuse après une rencontre avec quelqu'un, et ne vont pas voir ailleurs. D'autres iront voir cinq ou six endroits avant de se décider.  Tous les chemins sont possibles. Il n'y a pas de mauvais chemin.  Je n'aime pas beaucoup le mot de vocation qui suggère que le choix de la vie religieuse serait une volonté de Dieu à laquelle on adhérerait ou pas, et que chercher sa vocation consisterait à se demander ce que Dieu veut. C'est absolument faux. Tous les chemins de bonheur sont possibles à l'homme. Il faut juste en choisir un à un moment donné. Mais si je le choisis en toute honnêteté, ce sera le bon chemin. Il n'y a aucun plan établi à l'avance, jamais.

Une fois qu'on est entré dans la vie religieuse, qu'on a trouvé un endroit où l'on se sent bien, qu'est-ce qui peut indiquer qu'on a fait le bon choix ? Y a-t-il des fruits à percevoir ?

A. L. : Il y a des fruits évidents : la paix intérieure, la vie commune (est-ce qu'on supporte les autres ?), le sentiment d'être heureux… Quelqu'un qui serait triste, irascible, angoissé devrait réfléchir, surtout si ce n'était pas habituel auparavant.

Et s'il vous manque quelque chose ?

A. L. : Le manque est structurant dans la vie religieuse. On a tendance à idéaliser les choses, à se dire qu'il n'y aura jamais de conflit parce qu'on cherche tous Jésus-Christ et qu'on est tous de bonne volonté. Les trois vœux de pauvreté, d'obéissance et de chasteté structurent le manque, et je choisis d'habiter ce manque. Personnellement je manque d'un compagnon, je manque d'enfants… Sur la question de la pauvreté, soyons honnêtes, vivant à Paris au XXIe siècle dans une maison religieuse, nous n'avons pas les soucis de logement ou de nourriture que certains de nos contemporains connaissent. Mais nous vivons dans des instituts vieillissants, où l'on se sent souvent seul. La solitude est une véritable forme de pauvreté. On choisit d'être seul. Avec l'obéissance, on choisit aussi de ne pas avoir la main sur sa vie, en écoutant ce qu'on nous propose, en acceptant des tâches auxquelles on n'aurait jamais pensé, ce qui peut élargir notre existence.

Combien de temps faut-il pour se rendre compte que l'on est vraiment bien sur ce chemin-là ?

A. L. : Quatre-vingt dix ans ! Ce n'est jamais fini. Certains ont peut-être la chance d'être sûrs d'eux très vite, moi je pense que je n'aurai jamais fini de me dire que j'ai fait une erreur, qu'il faut que je parte, que je ne crois plus en Dieu… Cela fait partie de la condition humaine de se dire que l'on s'est trompé ou que l'on a été trompé par les autres. L'accusateur n'est jamais loin, et ce n'est pas un bon compagnon de route. On imagine toujours que l'herbe est plus verte dans le pré du voisin ! Les auteurs religieux du IVe siècle en parlaient déjà, ces craintes-là font partie du lot.

Donc finalement, on avance pas si sûr de soi…

A. L. : Surtout pas. Les pires religieux sont ceux qui sont sûrs d'eux. La condition humaine, c'est de n'être pas sûr de soi. Et la condition du croyant encore moins. Il ne s'agit pas d'être sûr de soi, mais d'être sûr du Christ. C'est tout à fait différent !

Dans cette incertitude, est-ce qu'on peut être heureux ?

A. L. : Je suis sûre que oui ! Le bonheur est un don qui nous est fait. De même que l'assurance. Ce n'est pas moi qui construis ma propre assurance.  Que chaque jour on se dise : "Ce n'est pas possible, je n'y arriverai pas", et qu'à la fin de chaque jour on constate : "Mais si, ce fut possible", c'est autre chose. Je crois que le réel est source de joie. Regarder les choses en face, c'est pour moi une source d'angoisse et une source de joie, les deux ensemble.

Vous êtes religieuse et vous êtes médecin en prison. Est-ce que les deux se complètent pour vous ?

A. L. : La prison me repose de la vie religieuse ! Parce que, bien sûr, je ne vis pas avec les détenus. Le plus grand lieu de difficulté de la vie religieuse, depuis ses origines jusqu'à la fin des temps, c'est la vie commune, parce que c'est le réel et que le réel est compliqué pour chacun d'entre nous. Il n'y a pas de raison que les religieux n'aient pas les mêmes difficultés que tout le monde : difficultés d'incertitude sur l'avenir, de conflits potentiels, mais aussi joie de vivre ensemble.

En résumé, que dire à quelqu'un qui se demande s'il a vraiment la vocation religieuse ? D'abord d'essayer ?

A. L. : Oui, et aussi de discuter avec des gens qui pourront l'aider à y voir clair. Et puis, dans la vie religieuse, on avance par étapes. On est d'abord postulant : c'est un temps d'apprivoisement avec l'institut dans lequel on est entré. Si vous êtes d'accord pour rester, et si l'institut est d'accord pour que vous restiez, car cela fonctionne dans les deux sens, vous entrez au noviciat pour un ou deux ans. La communauté qui vous reçoit peut très bien vous dire au bout de six mois : merci, au revoir. Et vous aussi pouvez très bien dire : merci et au revoir ! Les dominicains ont une très belle formule : "Si vos mœurs nous plaisent et si nos mœurs vous plaisent, nous pourrons continuer ensemble." 

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