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Rumeur et diplomatie
Rumeur et diplomatie
© Jacques Eguimendya

| Jacques Eguimendya 621 mots

Rumeur et diplomatie

En ce jour de samedi 13 mars 1887, Hendaye est en émoi. Pour démontrer, par anticipation toute la justesse de la chanson de Yves Duteil, la ville est aux prises avec une rumeur qui l’effraie.

 « La parole était d’argent

Mais la rumeur est de plomb

Elle s’écoule, elle s’étend

Elle s’étale, elle se répand »

 Et ce n’est pas une petite rumeur, déjà Bayonne en tremble. Les marins du garde-côte « El Tajo[1] » stationné à Fontarabie, ont attaqué « Le Javelot » notre paisible stationnaire. Tout le monde a entendu la fusillade, les balles espagnoles jonchent les rives de la Bidassoa derrière la gare. Supputant le nombre de blessés et surement de morts, les Hendayais n’osent aller vérifier de visu. N’est-ce pas une attaque précédant de nouveaux malheurs du style de ceux de 1793 ?

 Pendant que les langues vont bon train, le Commandant du Javelot, fait son enquête. Son équipage lui assure que les coups de fusil sont bien partis du Tajo. Il ramasse, derrière la gare, des balles utilisées pour les fusils Remington, l’arme de la Marine Espagnole. C’est la preuve du forfait. Mais quelle en est l’explication ?

La période ne porte pas à la confrontation. Les deux gouvernements déclarent, à tout bout de champ, leur amitié. Un déjeuner entre les deux Commandants est programmé. N’écoutant que son courage, le Commandant Schelling traverse la Bidassoa. Il monte sans difficulté à bord du Tajo, où il est accueilli avec tous les égards, et encore plus, par des marins particulièrement confus.

Il obtient l’explication, accompagnée d’excuses mille fois répétées par le Second du navire conscient d’avoir fait une monumentale gaffe impliquant les relations internationales. En fait, en l’absence de son Commandant, en route vers le domicile de son homologue français, s’ennuyant, ou par amour des armes, il a tiré sur des mouettes qui survolaient la Bidassoa. Malheureusement, les balles perdues ont atterri sur la rive droite du fleuve et le bruit des détonations n’est pas passé inaperçu côté français. Restait plus au Commandant du Tajo de, lui aussi, s’enquérir de la situation. En conséquence, il prononce une sévère punition à son Second avant d’aller présenter ses excuses sur Le Javelot.

Un incident provoquant une rumeur grossissant d’heure en heure, se diffusant jusqu’à Bayonne et, son représentant de l’Etat, le Sous-Préfet, mettant en cause la hiérarchie militaire espagnole ainsi que la question de la sécurité des frontières souffre-t-il une explication basée sur une simple bêtise ? La réponse est négative, l’explication doit être plus technique, plus diplomatique.

La « Petite Gironde » du 15 mars, dans un papier vraisemblablement inspiré par un communiqué de presse officiel, nous donne cette explication diplomatique. En fait l’Armurier et Machiniste du Tajo, a démonté et réparé une carabine Remington défectueuse. Pour l’essayer, il n’a pas daigné suivre la procédure en vigueur, à savoir, aller faire les essais au champ de tir du Cap Figuier. Les quelques tirs nécessaires pouvaient bien avoir lieu sur place. C’était sans penser aux effets psychologiques des détonations et à l’espièglerie des balles pouvant parfois ricocher sur l’eau jusqu’à atteindre le rivage opposé.

Ainsi, la faute est attribuée à un marin irresponsable, la hiérarchie militaire Espagnole est sauve. La France magnanime prend acte. L’incident est minimisé. L’amitié Hispano-française n’est pas écornée.

Hendaye le 10 octobre 2018

Jacques Eguimendya

Président Agora-Txingudi

Références :

La Epoca 17 mars 1887

El Dia 18 mars 1887

La Petite Gironde 15 mars 1887

Blog « Poniendo Rostros »

Yves Duteil « La rumeur »

Crédit photo :

Ville de Hendaye

Blog « Poniendo Rostros »

 

[1] « Le Tajo » faisait partie d’une série de navires, de faible tonnage, construite à l’arsenal de Toulon et destinée à protéger les côtes espagnoles lors de la troisième guerre carliste. Il fit naufrage devant l’entrée du port de Pasajes le 29 mai 1895.


 

Le Segura, frère jumeau du Tajo
Le Segura, frère jumeau du Tajo © Jacques Eguimendya
Le Segura, frère jumeau du Tajo

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